Les actes parlent plus que les mots : Louise Bourgeois au Musée juif

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La psychanalyse n’est pas morte. Simplement réprimé, il est revenu, en force, au Musée juif. « Louise Bourgeois : la fille de Freud » contient une poignée de sculptures, peintures et dessins macabres de l’artiste, mais aussi, plus étrangement, quatre-vingt-deux pages de ses journaux. C’est comme une exposition d’art à l’envers, avec la valeur des livres de texte, de texte, de texte brisé par des œuvres d’art occasionnelles. Vous ne serez jamais aussi soulagé de voir une tête avec des épingles dans les yeux.

Si Sigmund Freud avait fait une overdose de cocaïne en tant que jeune clinicien, quelqu’un d’autre aurait pu découvrir les principes de la psychanalyse en discutant avec Louise Bourgeois. Tout y est : l’enfance sexualisée, l’alliance fragile avec la mère, la relation chaud-froid avec le père. Bourgeois a commencé à étudier les mathématiques à la Sorbonne deux mois seulement après la mort de sa mère en 1932, tragédie pour laquelle elle semble l’avoir blâmée absente, flirtante papa. Peu de temps après, elle épousa un homme qui était, selon son propre compte, papa‘s opposé; a déménagé à Manhattan; et a commencé une œuvre marquée par des formes sculpturales ambiguës et tordues et des titres sans ambiguïté comme La destruction du père.

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Le musée juif prend Louise Bourgeois

Certains artistes se plaisent à refuser de s’expliquer devant la critique. Bourgeois n’a jamais cessé de s’expliquer. Les transcriptions de ses entretiens pourraient tapisser les murs de deux musées juifs et, à sa mort en 2010, elle a laissé environ mille pages de notes rédigées en même temps que ses trois décennies d’analyse. Le texte du mur n’entre pas dans quand ni pourquoi, mais Bourgeois a apparemment donné sa bénédiction pour que ces pages soient partagées avec le monde – un fait que, comme avec la façon de les aborder sans autre question, je peux ça n’aide pas à trouver un peu suspect. Il y a quelque chose de trop parfait dans la performance incessante de Bourgeois de la lutte œdipienne, comme une note de musique trop nette et trop forte pour sortir d’une gorge humaine.

Plus d’une fois, l’exposition rappelle l’affirmation de Bourgeois selon laquelle « mon art est ma psychanalyse ». Au sens large, cela signifie que son art a servi à quelque fin thérapeutique comme moyen de faire face à son enfance difficile. Mais Philip Larratt-Smith, commissaire de l’exposition et archiviste littéraire de Bourgeois de 2002 jusqu’à sa mort, entend bien prendre Bourgeois au pied de la lettre. Il veut que son art soit psychanalytique jusqu’au cœur, toute sa carrière de soixante-dix ans une perle formée autour du grain de «l’impasse œdipienne», comme il le dit dans un essai accompagnant l’exposition. Et si Bourgeois était une grande artiste dont l’art était fondamentalement psychanalytique, ses écrits psychanalytiques doivent bien sûr l’être aussi. « La manière singulière de Bourgeois d’utiliser le langage », écrit Larratt-Smith, « la situe en compagnie d’artistes-écrivains comme Cellini, Delacroix, Van Gogh et Artaud.

Une page de notes datée et dactylographiée ressemble à un journal intime, avec de brefs en-têtes et de courtes lignes décrivant les émotions et les relations.

Louise Bourgeois, Feuille volante, 1952, encre noire sur papier blanc cassé.
©The Easton Foundation/Autorisé par VAGA à la Artists Rights Society (ARS), NY

« Singulier » est un mot glissant, mais si Larratt-Smith veut dire que l’écriture de son ancien patron a un mérite littéraire important, je ne suis pas d’accord. Rien dans ces dizaines de pages ne correspond au pathétique laconique des lettres de Vincent à Théo ou aux cascades extatiques des manifestes d’Artaud. Non pas qu’il y ait quelque chose de mal à cela – ce n’était pas l’idée de Bourgeois de construire un spectacle autour de ses notes. On ne sait pas non plus à quel point Larratt-Smith les aime. La plupart des passages qu’il cite semblent avoir été choisis pour des mentions commodes de mots à la mode freudiens, et non pour des utilisations singulières du langage. Par exemple, « peut-être vis-à-vis de mon frère j’ai / ressenti le désir de castrer ». Ou « Je ne peux littéralement pas vivre ou fonctionner / sans la protection d’un père. » Contre-intuitivement, bon nombre des pages les plus intimes de l’émission sont dactylographiées et non manuscrites, comme celle de 1952 : « Une inquiétude ou une autre remplissent toujours mes journées. Établir la période ou le cycle en gardant une laiterie. Ce n’est pas Virginia Woolf et ce n’est pas essayer de l’être, mais remarquez comment ces sics saboter les progrès qu’ils semblent promettre, comme dans la vieille blague où un gars dit: « Je dois m’organiser. » Vous pourriez trouver Freud ici si vous essayiez, mais le passage me semble plus poignant : Bourgeois lèche une blessure qu’aucune analyse ne guérira ou n’expliquera.

Larratt-Smith insiste sur le fait que les « écrits de Bourgeois n’expliquent pas la sculpture ». Freud aurait appelé ce jugement une « formation réactionnelle » ; Shakespeare aurait dit que Larratt-Smith proteste trop. « Pendant la phase œdipienne, écrit Larratt-Smith, après avoir cité un passage où Bourgeois songe à ses parents, l’enfant oscille entre identifications maternelles et paternelles. La fusion du masculin et du féminin dans des sculptures telles que Fillette et Janus Fleuri (tous deux en 1968) reflète cette alternance entre homme et femme. Comment n’est-ce pas une façon d’expliquer les sculptures de Bourgeois avec ses écrits, en reliant les points pour « découvrir » le Freud dont nous savions déjà qu’il était là ?

Une sculpture en tissu rose représente une personne nue avec des seins et trois têtes.

Louise Bourgeois, Hystérique, 2001, tissu, acier inoxydable, verre, bois et plomb, 18 x 8 x 6 ¼ pouces.
Photo Christopher Burke/©The Easton Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY/Collection The Easton Foundation

Ce qui manque, de cette émission et de bien d’autres autopsies de Bourgeois (voir le roman de Jean Frémon 2019 Maintenant, maintenant, Louison), est le scepticisme. Face à tant d’auto-mythologie consciente, il est important de distinguer l’artiste Bourgeois de ce que Robert Storr appelait « ce personnage appelé ‘Louise’ qu’elle a interprété et inventé en l’incarnant ». Dans l’interprétation de Larratt-Smith, Bourgeois était une ermite qui sortait chaque semaine de sa grotte pour parler à son analyste, alors qu’en réalité elle a passé les quarante premières années de sa carrière à rechercher la gloire et les trente dernières à la garder savamment, lançant des bribes biographiques et théoriques à des critiques avides comme un fermier qui répand de la nourriture pour poulets.

Rien de tout cela ne signifie que Bourgeois n’a pas eu plus que sa juste part de chagrin et de ressentiment, ou n’a pas pris ces choses comme point de départ pour des œuvres d’art qu’elle considérait comme freudiennes. Elle l’a fait. Mais si ses créations étaient aussi catégoriquement freudiennes qu’on nous le dit, seuls les freudiens s’en soucieraient. Hystérique (2001), l’une des rares pièces exposées qui survit à son étouffement textuel, peut sembler une confirmation nette de la thèse de l’émission, de sa figure de tissu à trois têtes (id, ego et surmoi ?) jusqu’à son titre. Mais plus vous regardez, moins cela devient freudien. Ce qui vous colle à la place, c’est le scintillement malveillant des yeux du personnage, le rose maladif du tissu, la puanteur du laudanum que vous imaginez sous la vitrine, le picotement duchampien qui invite et repousse l’interprétation. Plus l’exposition insiste sur les règles, plus les œuvres deviennent malicieusement désobéissantes et plus Bourgeois semble impressionnant. Comme tout artiste digne d’un fichu, elle a encore quelques longueurs d’avance sur ses archivistes.

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